9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 23:59

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

 

Les as du rock'n'roll, épisode 13

Bill Haley & The Four Aces Of Western Swing :

"A Yodeller's Lullaby"


 

Le Eddie Van Halen du yodel: voilà le titre qu'aurait dû Bill Haley garder dans la mémoire collective.

 

Du yodel? Le kitsch folklo nous aurait-il miné la cervelle?... Quel rapport avec les légitimes préoccupations quotidiennes du rockeux à banane raide ou blacklippeux étique? Pas de malentendus: en matière de country, nous ne parlons pas variétoche décadente à base de chanteuses platinées et de silicone, manufacturée au crépuscule de Nashville. Il est au contraire ici question de cette nébuleuse matricielle des musiques du Sud. Le rockab‘, qu'est-ce, sinon une histoire de zazous hillbilly giclant la testostérone et jouant des chansons de blues ou bluegrass à la guitare country (cf.Elvis, les Sun Sessions)*? Il serait superflu de s'étendre d’autre part sur le rôle titanesque joué par Hank Williams, premier (unique?) rockeur, dont le honky tonk ne recquiert qu‘une infime accélération pour donner «Rock Around The Clock». Quant à nos héros chéris, ils ont en masse pratiqué le noble art de la country, ou pour mieux dire : ils entendaient être, ils sont des chanteurs country (et de gospel). Jerry Lee Lewis, Wanda Jackson (belle interprétation du « Blue Yodel n°6 »!), Carl Perkins, bien sûr Johnny Cash: tous, quoi. Admettons, soit, la country, direz-vous: mais le yodel? Oublions les cartes postales tyroliennes : le yodel américain, mis en forme par le bouleversant Jimmie Rodgers, est une technique virtuose, à la source de bien des inflexions rockabilly (hiccup, tensions, syncopes; montées et descentes), une glossolalie émotive en quête de l‘ineffable. De nos jours, en cas de nécessité, amenez votre neveu hipster chez Bloodshot Bill pour lui faire entraver l'importance monumentale de cette éminente pratique culturelle.

 

Ne s'est-on pas moqué de Bill Haley! Son  accroche-cœur sempiternel et ses bonnes joues, sa raideur peu émoustillante, ses scies écoulées à des millions d‘exemplaires : ainsi Nick Tosches l'éreinte-t-il dans l'indispensable Héros Oubliés du Rock'n'roll. Injustice. Rafraîchissons notre perception de ce vrai héros à l’écoute de ses œuvres de jeunesse, gravées en compagnie des Four Aces of Western Swing: « A Yodeller's Lullaby ». La première moitié du morceau fera peur aux mangeurs ordinaires de fuzz. On entend de l'accordéon valseur, ça grasseye du baloche, c'est de la bonne came Western Swing, mais les oreilles inhabituées risquent de saigner. Patience; à partir de 1:40, on quitte la stratosphère pour  atteindre la constellation des musiques... autres. Nul doute que l’expérience en dépaysera plus d’un. L'interprète de « Rock Around The Clock » accélère peu à peu et virevolte, se lance dans un shred vocal, une tornade d'une rare singularité (au moins pour des auditeurs dressés par l’industrie musicale contemporaine), qui ramone les bulbes et défonce tout sur son passage. Bill Haley, chanteur  d'exception, à qui l'on a plaisir de rendre aujourd'hui hommage.

 

 

*Pour l'approche théorique: Max Décharné, Wild Wild Party, La Glorieuse Histoire du Rockabilly (à qui est emprunté le syntagme «zazou hillbilly»). Plus qu'indispensable.

 

 

 

 

 

Bill Haley And The Four Aces Of Western Swing : « A Yodeller’s Lullaby »


 

 

 

 


 

Pour quelques yodels du tonnerre : 

 

-au début: Jimmie Rodgers. Sans égal.


 

 

-ensuite: Wanda Jackson. Il n’y a pas de rockeurs. Il n’y a que des chanteur-e-s de country qui montent en ville.


 

 

 -après: le Mysterious Asthmatic Avenger. Modernité dans le respect des savoir-faire traditionnels.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 20:54

Malvina Reynolds sings the truth
Malvina Reynolds 
Malvina Reynolds sings the truth
(Columbia Records ; 1967)

 

 

    Au moment d’entamer la rédaction de ce nouvel article, constatons avec un peu d’amertume le fait suivant : Malvina Reynolds, née le 23 août 1900 à San Francisco,  ne compte pas parmi les chanteuses nord-américaines les plus connues. Celle dont Pete Seeger, l’une des deux figures tutélaires du folk US d’après la deuxième guerre mondiale (avec Woody Guthrie), disait qu’elle était l’une des plus importantes songwriters du vingtième siècle est aujourd’hui largement inconnue. Le seul titre de gloire généralement accordé à Malvina Reynolds est celui d’avoir écrit et composé « Little Boxes », une piste reprise par un nombre incroyable d’artistes depuis bientôt cinquante ans, et qui a depuis longtemps atteint le statut de classique.

 

    Fille d’immigrants, Malvina Milder fait des études de philologie à l’université de Berkeley (Californie), jusqu’à y obtenir un doctorat. A cette époque, divers éléments l’empêchent de trouver une université où elle pourrait enseigner : le fait d’être juive, celui d’être socialiste, associés à celui d’être une femme. Mariée à un charpentier syndicaliste, elle travaille en tant que « social worker », puis à l’usine, et écrit dans divers journaux locaux. Dans les années 1940, elle rencontre des musiciens et des chanteurs folk (notamment Earl Robinson et Pete Seeger) qui la décident à écrire des chansons pour défendre ses idées, mais aussi pour distraire les enfants.

 

    C’est ainsi à l’âge respectable de soixante-sept ans que Malvina fait ses débuts discographiques chez une grande compagnie de disque. Avant cet album, publié par Columbia Records qui était alors un des géants mondiaux de l’édition de disques, Malvina Reynolds avait déjà sorti en 1960 Another County Heard From (sur le label Folkways), dont la diffusion était restée cantonnée au milieu folk de son époque. John Hammond, un des hommes importants de Columbia au début des années 1960 (il a notamment révélé Aretha Franklin et produit les premiers disques de Bob Dylan), supervise l’enregistrement et s’occupe de la production de l’album de Malvina sings the truth. L’orchestration présente sur ce disque est très minimale : une guitare acoustique et parfois une basse sont les seuls éléments qui  accompagnent la voix éraillée et souvent hésitante de Malvina Reynolds. Afin de préparer nos lecteurs à l’écoute de ce disque, signalons qu’à propos de sa voix, Malvina avait elle-même confié à un critique avoir l’impression de chanter avec grenouille coincée dans la gorge la moitié du temps.

 

    Que celles et ceux parmi vous que la dernière phrase effraierait vaquent à leurs quotidiennes et probablement  risibles occupations. Pour les autres, que retenir de cet album oublié et de cette grande dame ? Une poignée de chansons fabuleuses, pour lesquelles il faut signaler une évidence mélodique immédiate (« Battle of Maxton Field », « Little Boxes », « What’s going on down there ? ») ne doit pas faire oublier la qualité fantastique des textes (qui ont été compilés à la page suivante : http://people.wku.edu/charles.smith/MALVINA/songmenu.htm). Les paroles des chansons sont souvent imagées et drôles, et les formulations trouvées par Reynolds n’ont rien perdu en pertinence, plus d’un demi-siècle après leur enregistrement. L’utilisation de l’humour pour pointer les défauts de la société était une caractéristique importante de la tradition folk, largement perpétuée par Bob Dylan, Richard Farińa, Tom Paxton, Woody Guthrie… A ce titre, des chansons comme « The New Restaurant » est un modèle du genre, à la fois drôles et terriblement expressives. Pour autant, Reynolds est loin de se cantonner à ce style ; certaines de ses compositions sont plus simplement poignantes et douloureuses, comme par exemple « What have they done to the rain ? » et surtout « Bitter Rain » qui clôt ce disque. 

 

    Assez logiquement (puisque Malvina Reynolds avait contribué à leur popularisation longtemps avant d’enregistrer cet album), les thèmes qui parcourent ce disque sont assez caractéristiques de la scène folk nord-américaine des années 1960 : pacifisme, écologie, crainte d’un avenir incertain (liées aux thèmes précédents par les menaces de pollution et de guerre), d’une industrialisation et d’une automatisation à outrance. Erudite et réfléchie, Reynolds place également dans son œuvre des éléments de la culture de son pays : présence de Dieu et du diable (« God bless the grass » ; « The Devil’s baptizin », « Singin’ Jesus »), du Ku Klux Klan (« Battle of Maxton Field »), et considère les rapports à l’autre tels qu’ils existaient à son époque (la situation des noirs, celle des communistes, et plus largement celle de tous ceux qui ne pensent pas comme ils sont censés le faire)… Dans une de ses plus remarquables chansons, « I don’t mind failing », elle résume brillamment les valeurs qui ont conduit sa vie (d’artiste et de femme) ; citons notamment le deuxième couplet : « I’ll stay down with the raggedy crew / ’cause getting up there means stepping on you / I don’t mind failing in this world »).  

 

    Objet discographique sans équivalent dans l’histoire de la musique folk des années 1960, Malvina Reynolds sings the truth est un disque à (re)découvrir : les grandes chansons qu’il contient restent aujourd’hui comme le témoignage d’une immense artiste, et la plupart des thèmes qu’il aborde sont toujours d’actualité.

 

 

 

 

Liste des chansons :

  1. The New Restaurant *
  2. What’s going on down there?
  3. Little Boxes *
  4. Battle of Maxton Field *
  5. God Bless the grass
  6. I don’t mind failing *
  7. What have they done to the rain?
  8. The Devil’s baptizin
  9. Singin’ Jesus
  10. The Bloody neat
  11. Quiet
  12. Love is something (the magic penny)
  13. Bitter rain *

 

 

 

Vidéos

 

Little Boxes


 
 

The New Restaurant

 

Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus à propos de Malvina Reynolds, voici le lien vers le site qui est le plus complet à notre connaissance :

http://people.wku.edu/charles.smith/MALVINA/homep.htm.

Partager cet article
Repost0
16 mars 2013 6 16 /03 /mars /2013 16:17

lee.jpgLee Hazlewood  -   

Trouble Is A Lonesome Town
(Mercury ; 1963)

 

    Lee Hazlewood est aujourd’hui davantage célébré pour ses talents de compositeur et de producteur que pour ceux d’interprète. Cela est assez logique, si l’on considère le succès qu’il a obtenu pendant les années 1960 et 1970, avec Nancy Sinatra bien sûr, mais aussi avec d’autres interprètes (signalons la publication récente du double LP The LHI Years – Singles, Nudes and Backsides par Light In the Attic, un prodigieux label qui a prévu de rééditer plusieurs albums de Hazlewood pendant les prochaines années).

 

    Trouble is a lonesome town est un concept album organisé autour de la ville imaginaire de Trouble, où Hazlewood prétend avoir passé son enfance, et dont il décrit quelques-uns des personnages remarquables et des aspects importants en une dizaine de chansons. Le disque est conçu de façon très particulière et structuré de façon très systématique, puisque chaque chanson est précédée d’un cours monologue parlé qui lui sert d’introduction. Musicalement, Trouble is a lonesome town est principalement un album de country-music, mais laisse place à d’autres genres musicaux (blues et rock’n’roll) qui permettent d’apprécier plusieurs facettes du talent de son auteur. Âgé de trente-quatre ans au moment de la sortie de cet album, Lee Hazlewood est déjà un producteur chevronné ; il a même déjà publié quelques singles (dont plusieurs sous le pseudonyme de Mark Robinson, que Light in the attic a inclus à la suite de l’album dans sa réédition de 2013).

 

    Comme cela a souvent été le cas dans les chansons postérieures qu’a enregistrées Hazlewood, celles de ce disque sont un mélange attachant d’humour et de sagesse, et les textes sont livrés de façon détachée et volontiers absurde (« 99 years is what he got, I bet it seems like a hundred to Jim » sur « Long Black Train », «You’ll never get out of this world alive » sur «We’ll all make the flowers grow », etc.). Les thèmes abordés par les chansons de ce disque sont des thèmes éternels : l’amitié, « Long Black train », la mort « We’ll all make the flowers grow », les rapports familiaux, « Six feet of chain » et les relations hommes/femmes « Look at that woman ». Le tout est solidement ancré dans l’imaginaire américain et sa mythologie de conquête de l’Ouest : le chemin de fer, les cow-boys et les outlaws, la prison et la figure omniprésente du croque-mort local, personnification de la mort qui n’est jamais très lointaine…

 

    La voix basse et chaleureuse de Hazlewood est immédiatement identifiable, et le charme qu’elle dégage opère dès les premières secondes du disque. Trop peu reconnu comme un grand interprète, Hazlewood n’avait pourtant rien à envier à des chanteurs acclamés de toutes parts comme Johnny Cash ou Leonard Cohen. La qualité mélodique des chansons est énorme, d’une simplicité désarmante, et portée par une production qui est ici pleine de retenue (ce qui n’a pas toujours été le cas dans la carrière de Hazlewood, notamment pour quelques-uns de ses morceaux les plus connus). Le son est cristallin, frappant de justesse, et la douceur des lancinants accords de guitare acoustique s’accorde parfaitement à la voix de Hazlewood (« Son of a gun » ; « We’ll all make the flowers grow »), l’harmonica apporte une touche d’acidité qui fait écho au chant très bas (« Trouble is a lonesome town ») et une basse assure un fond solide et une assise balancée.  

 

    Avec ces dix chansons, Lee Hazlewood a livré un premier LP extraordinaire, un classique indispensable qui n’était que le premier album d’un artiste appelé à connaître un succès populaire quelques années plus tard, et voué à devenir une figure tutélaire pour des générations de musiciens du monde entier.

 

 

 

 

Liste des chansons :

  1. Long Black train *
  2. Ugly Brown
  3. Son of a gun
  4. We all make the flowers grow *
  5. Run boy run *
  6. Six feet of chain *
  7. The Railroad
  8. Look at that woman
  9. Peculiar guy
  10. Trouble is a lonesome town *

 

 

 

Vidéos :

 

"Long Bad Train"

 

 

"Son Of A Gun"

 

 

 

 

 

 

Vinyle :

 

L'album vient d'être réédité par Light In The Attic

Partager cet article
Repost0
8 février 2013 5 08 /02 /février /2013 13:41

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

 

 

 

Les as du rock'n'roll, épisode 12

Larry Williams : "Slow Down"


Si son maître et ami Little Richard a toujours été tiraillé entre le ministère du Seigneur et sa vocation pour le rock'n'roll, le grand Larry Williams, plus séculier, n'a guère balancé entre sa carrière de chanteur et celle de maquereau. Pour le dire en termes plus ornés, son astre n'a pas longtemps lui sur son audience publique. 1957, Specialty confie à ce jeune loup féru de rock'n'roll à paillettes ascendant rythm'n'blues, une mission taillée sur mesure : combler le créneau laissé vacant par ce même Little Richard alors en pleine crise mystique. Larry sort "Short Fat Fannie", discrète et subtile allusion, et mitraille dans la foulée une belle série de tubes. Plutôt pas mal, à moins de vingt ans, alors que trois mois plus tôt il officiait comme valet et chauffeur pour Lloyd Price (dont il reprit le "Just Because"). 1959: fin du premier acte, l'étincelant chanteur aux interlopes coutumes est condamné à trois ans de prison pour trafic de stupéfiants.

 

Or, Larry Williams pouvait non seulement se targuer d'une allure certaine – moustache en trait de crayon et atours scintillants – mais aussi d'un fan-club pas exactement banal, rempli de gaillards gourds et prometteurs, nommés par exemple John Lennon, les Animals, Keith Richards... Tout s'imbrique: à la faveur du British Boom, sa carrière brisée va redémarrer. Car ce sacré paon de Williams n'était pas un blanc-bec: "Bonnie Moronie", "Dizzy Miss Lazy", "She Said Yeah", cette théorie de morcifs repris à l'infini, des Beatles à The End et Johnny Winter en passant par les Stones, ça vous dit quelque chose? Ces standards, c'était lui, Larry Williams. Eh, les petits poppeux anglais avaient lors bon goût. Nouveau départ donc au milieu des années 60, et c'est sur cette période, un brin moins connue, que nous insisterons. Passons vite sur son semi-assoupissement des années 70 et son ultime album disco-funk sans écho, à la fin d'une décennie qu'il aurait surtout consacrée à la fréquentation des bas-fonds de L.A. (amenant certains à douter de la version officielle selon laquelle il se serait suicidé à quarante quatre ans, après qu'on l'eut retrouvé avec une balle dans la tête en 1980).

 

Prenons l'album "The Larry Williams Show" (1965). Ouverture en grande pompe avec le terrible "Slow Down", instru dansant ("Stormsville Groove"), ballade prenante ("Out Of Tears"), bonnes reprises ("For Your Love"). Les compositions sont peut-être parfois moins percutantes qu'avant, mais son talent intact est valorisé par un groupe idéal. La rythmique est soutenue par l'intense drapé des cuivres et les percussions d'un piano acharné. Ce rock'n'roll calorifique, belle nouveauté, se colore déjà de soul-funk, c'est l'euphorie. Mais l'atout majeur reste la présence transfiguratrice du fameux guitariste lapidaire, funky, et interstellaire Johnny "Guitar" Watson, l'auteur de l'instrumental "Space Guitar" qui avait tant épaté le petit Jimmy Hendrix. A l'écoute de ce disque, on mesure l'injustice dont Larry Williams a été victime au même titre que cette grande folle d'Eskew Reeder (alias Esquerita), tous deux snobés aussi bien par l'historiographie des rockeurs que le public rythm'n'blues et traités – bien à tort! – de simples copies de Little Richard. Non, Larry Williams n'atteint pas l'insurpassable hystérie de celui-ci – mais sa voix plus suave, vive et souple, oeuvre dans un autre registre, et il mérite de rester en mémoire bien davantage que pour ses frasques et ses créations de classiques: en tant qu'excellent interprète.

 

 

 

Le saviez-vous?


"Porté par le sax ténor de Plas Johnson, "Short Fat Fannie" se hisse à la première place du classement r&b de l'époque. Ce titre énumère tous les grands succès de l'époque, de "Heartbreak Hotel" à "Tutti frutti" en passant par "Blueberry Hill", "Blue Suede Shoes" ou "Hound Dog"! Histoire d'épater la galerie, Williams tourne avec un chimpanzé et un orang-outan déguisés en Short Fat Fannie, qui lui balancent parfois leurs excréments sur scène" (Florent Mazzoleni, Les Racines du Rock)

 

 

 

 

 

 

Vidéos :

 

"Slow Down"


 

"Bony Maronie"


 

"Dizzy Miss Lizzy"


 

 

 

 

A écouter:

 

Larry-Williams-The-Larry-William-471790.jpg

 

The Larry Williams Show with Johnny Guitar Watson, 1965

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
27 septembre 2012 4 27 /09 /septembre /2012 17:55

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

 

 

Les as du rock'n'roll, épisode 11

Johnny Horton : "Honky Tonk Hardwood Floor"


 

Johnny Horton avait une passion, une prenante et grande passion : la pêche à la ligne. Qui sait combien de temps il eût ainsi taquiné le goujon ? si après une jeunesse pérégrine, un instant improvisé chercheur d’or en Alaska, il n’avait contracté un passe-temps : le chant et la composition. D’où une carrière aussi brève que multiforme et accidentée.

 

Lauréat d’un concours de jeunes talents, il parie pour la vie d’artiste. Sous la houlette d’un manager pas forcément avisé, il interprète une country honorable. Sa vie de perpétuel chemineau, toujours balancé entre la Californie natale et sa terre texane d’élection,  aura raison de son premier mariage. Devenu hôte régulier du Louisiana Hayride à partir de 1952, le Singing Fisherman, comme on le surnomme déjà, s’y fait un mentor de Hank Williams en personne. Peu après la mort tragique du chanteur déjà légendaire, il épouse la dernière femme de celui-ci. Toujours pas de succès significatif : le jeune couple, désillusionné, erre en quête d’idées et de dollars. Le coup de fouet espéré viendra d’un changement de label, mais surtout d’Elvis : avec l’épiphanie rockabilly des Sun Sessions, c’est toute une génération de chanteurs de country (rappelez-vous Glen Glenn) qui entreprend de se muscler le son.

 

Un éclat arrache alors Johnny à la dèche : le réjouissant « Honky Tonk Man » chez Columbia en 1956. Or, en dépit de quelques 45 tours tout aussi bons et d’une réputation grandissante grâce aux égards du Billboard, le chanteur peine à donner suite à ce succès, et se retrouve pour la deuxième fois aux abois. La gloire tant attendue tombe enfin du ciel, en 1959, après une nouvelle transformation, quand notre homme se lance dans l’univers épique des saga songs (ballades folkloriques) et écoule un million d’exemplaires de « The Battle Of New Orleans », hymne qu’il ne serait pas interdit aujourd’hui de trouver un peu kitsch. La fin est tragique : passionné de spiritisme, Johnny avait prophétisé sa propre mort et redoutait de périr de la main d’un ivrogne après un concert à Austin, qu’il honora en dépit de ses appréhensions, le 5 novembre 1960. C’est sur la route du retour que le brillant Johnny Horton, à trente et un ans, en pleine possession d’un talent encore riche de promesses, subit comme Hank Williams un accident fatal.

 

Johnny Horton nous intéresse car il illustre à merveille ce moment passionnant et capital où la country sous sa forme la plus rythmique, dépouillée et rugueuse, à savoir le honky tonk (musique country en orchestre réduit pour rades louches, Hank Williams toujours – artiste peut-être plus capital pour l’histoire de la musique américaine qu’Elvis et Dylan réunis –, ce moment où donc une certaine country mue, au contact d’autres influences blues, en ce rockabilly sudiste né chez Sun. À la jonction donc d’un honky tonk speedé mais chaleureux, et d’un Johnny Burnette en moins hystérique tel qu’en témoigne le trépidant « I’m Coming Home », Johnny Horton pouvait faire merveille, comme sur son meilleur titre, ce sautillant « Honky Tonk Hardwood Floor » (1958) qui impressionne par l’attaque serrée de basse électrique tenue par le génial pickeur de Nashville, Grady Martin. Cette voix excitante qui avait tout pour devenir fort grande mérite de sortir de la méconnaissance. Et que nul garageux béjaune ne se moque plus de ce superbe genre matriciel, à la fois tragique, tellurique et primesautier : la country.

 

 

 

 

 

Vidéos :

 

« Honky Tonk Hardwood Floor »


 

« I’m Coming Home »


 

« Honky Tonk Man »


 

 

 

 

 


   

A écouter:

 

LP-COUNTRY-HORTON-JOHNNY-ROCKIN-ROLLIN-BEAR-FAMILY.JPG

 

 

Ici encore, Bear Records demeure incontournable et artisan de la redécouverte : « Rockin’ Rollin’ Johnny Horton », beau travail, rassasiera la légitime curiosité.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
21 septembre 2012 5 21 /09 /septembre /2012 17:42

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

 

Les as du rock'n'roll, épisode 10

Harry Lee : "Kiss An Eskimo"

 

Si des noms comme Memphis ou Detroit sonnent tout auréolés de légende et de magie aux oreilles de l’amateur de rock’n’roll, il n’a en revanche échappé à l’attention de personne que, dans le même domaine, une contrée se signalerait par des apports beaucoup plus modestes : l’Alaska. Ce serait sans compter Harry Lee, le plus grand rockeur esquimau.

 

Ni amateuriste ni d’incompétent, « Kiss An Eskimo » ravira néanmoins par son charme ingénu les amateurs d’art brut à la Shaggs ou Blousons Noirs. Sur fond de basses grattées consciencieusement et de carillons aigres à la guitare, un chanteur saugrenu à la voix de canard enrhumé, épaulé par des chœurs bonhommes, s’interroge sur les mœurs amoureuses dans le grand Nord : « One thing about Alaska I would like to know / Is how to kiss an Eskimo / Some say just they just grap noses / I’m not sure it’s the best way / To kiss an Eskimo ».

 

Paru rien moins que sur Igloo Records, label d’Anchorage, ville natale du chanteur, ce titre ethnologiquement précieux n’est pas son seul exploit : on s’intéressera ainsi à un autre morceau de taille, plus enlevé mais tout aussi typique, « Rockin’ On A Reindeer » (« Ça secoue, le caribou »). Harry Lee s’en est vite retourné à ses affaires de taulier de bar et disc-jockey ; il n’en a pas moins mérité une place de choix au panthéon pittoresque des oubliés du rock’n’roll.

 

 

 

   

« Kiss An Eskimo »


 

 

 

« Rockin’ On A Reindeer »


 

 

 


   

A écouter:

 

45t.JPG
…Fort peu de choses ! Quatre ou cinq chansons en tout, trouvables sur les habituelles inénarrables compiles d’obscurités ahurissantes, Bison/Buffalo Bop entre autres. On dirait que le 45 tours a été réédité de-ci, de-là. Les millionnaires quêteront les originaux sur ebay ; pour les flemmards comme vous et moi, autant se référer aux liens ci-dessus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
5 juillet 2012 4 05 /07 /juillet /2012 13:10

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

Glen Glenn

 

Les as du rock'n'roll, épisode 9

Glen Glenn : "Everybody’s Movin’"

 

Hommage soit rendu à l’un des plus beaux rockabilly : le somptueux et rayonnant « Everybody’s Movin ‘ », presque aussi grand, noble… classique ! que le « Long Blond Hair » de Johnny Powers. Glen Glenn (notons le pseudo parfait, quoique imposé à M.G.Troutman qui s’en battait les flancs), un autre de ces nombreux qui-auraient-pu-être, avait la foi et le désir, avait la classe ; irréprochable fruit de l’Amérique par sa naissance (Joplin, Ozark Mountains dans le Missouri) destiné à la country dans laquelle il débutera sans peine ; et surtout oint du Roi, après sa rencontre personnelle avec Presley au terme du premier concert de celui-ci sur la côte Ouest à San Diego : révélation et conversion vers le pur rockabilly. Le service militaire l’a éloigné à Hawaï au moment inopportun, celui de son chef d’œuvre, le simple « Everybody’s Movin ‘/ I’m Glad my baby’s gone away » en janvier 1958, suivi de son gros succès « One Cup Of Coffee / Laurie Ann ». À son retour, en dépit de ses efforts, la chance ne lui sourira plus.

 

Ce qui hausse cet excellent chanteur et compositeur au-dessus de la foule hurlante et boppante, c’est une forme de flamboyance classieuse, qui en se passant d’âpreté et de sauvagerie sait être excitante. Fin et stylé, il avait un don pour les balades (« Kathleen », « Laurie Ann », et la meilleure, étonnamment rythmée : « Kitty Kat »), mais aussi pour les merveilleux tubes potentiels, comme « Blue Jeans & A Boy’s Shirt », « One Cup Of Coffee », propres à réconcilier la canaille musicologiste aiguisée avec les candides twisteurs du samedi soir : musique populaire par excellence, et au meilleur sens du terme.

 

Parmi ces titres-là, « Everybody’s Movin’ » s’impose sans conteste. Au rond soupir de guitare expectative répond la descente de contrebasse slappée assurée par l’accompagnateur de Cochran, Connie «Guybo » Smith. Quelques phrases tensives nous annoncent que ça va chauffer au bal ce soir, quand d’un coup le superbe élan vers le refrain, appuyé par la batterie, lance un appel impérieux à la danse unanime. Davantage qu’épitomé de la surboum sensuelle ou que compendium de la surprise party, Glen Glenn a gravé là une chanson immortelle.

 

 

 

 

« Everybody’s Movin’ »


 

« One Cup Of Coffee »


 

« Kitty Kat »


 

   

A écouter:

 

Glen-Glenn-Story-LP-Ace-FrontUG.jpgRéférence pionnière, le volume The Glen Glenn Story (ACE CH 57, 1982) pourrait suffire. Les meilleurs morceaux sont accompagnés de démos et d’enregistrements en concert, mais peut-être un poil trop de reprises, certes talentueuses. Plus complet, Glen Rocks chez Bear Family en 2004.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 21:35

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

 

Collins Kids

 

 

Les as du rock'n'roll, épisode 8

The Collins Kids   : "Hop, Skip And Jump"

 


On n’a pas attendu la génération Naast pour faire rocker les mômes. Au royaume des sauvageons, les Collins Kids représentèrent l’une des plus singulières attractions jamais vues : Lorrie, radieuse cariatide country pop, dès quatorze ans pleine d’assurance et à seize de magnétisme, et Larry, lutin sauteur de neuf-onze ans harnaché d’une Mosrite à double manche. Si leurs débuts à la télévision en 1953 (au Town Hall Party californien, ils obtiennent un rendez-vous régulier), alors que leurs voix n’ont pas encore muées, concernent d’abord un public enfantin (exemple: « The Cuckoo Rock » gentil, vite agaçant), très vite, dès 1956, le spectacle tourne à… autre chose :

 


 

 

Sans mentir : la naissance du teen punk trash. Larry le prodige a biberonné à la nitroglycérine pour bondir comme une sauterelle extasiée, touchant à peine terre entre deux duck walk élastiques. Élève de Joe Maphis, il a quasi inventé, on a pu l’écrire, le jeu surf music. Sa vélocité ne verse jamais dans la complaisance ; au contraire, sa nervosité sèche est mise toute au service du rythme. La voix de Lorrie fait plus que convaincre : souple et pleine, elle annonçait une star. En plein remue-ménage, ils ne plantaient pas même leurs chœurs. Au milieu de leurs tontons et copains Tex Ritter, Johnny Bond ou Eddie Cochran, les deux joviaux complices, candides et ravis, font les fous dans ce terrain de jeu idéal :

 


 

 

Ainsi, ce « Blues Medley » contient nombre de moments remarquables : après un long jeu avec le public, la violence du sursaut à 2 :50, la hargne de Larry, la classe de Lorrie à 3:20, un final brillant :

 


 

 

Le sens du spectacle, la mordante euphorie et la rythmique infernale de ces gamins apprendraient la vie à 99% des groupes du monde entier. Leur version d’« I Got Stung » d’Elvis surclasse l’originale ; moins virtuose, mais beaucoup plus enlevée :

 

 


 

 

De quoi se croire en pleines compiles Teenage Shutdown. Dans « Chantilly Lace », Larry évoque un Hasil Adkins en culottes courtes :

 


 

 

Les amateurs accordent grand prix à « Hop, Skip and Jump ». Quant au définitif, ultime et quintessentiel coffret Rockin’ Bones, il met à juste titre la fratrie Collins à l’honneur, grâce à deux pics de sauvagerie : Larry en fureur chante un incroyable « Whistle Bait », et c’est une Lorrie flamboyante qui assure « Mercy ».

 

Aujourd’hui, une tripotée de vidéos témoigne de cette période bénie. Mais qui prenait ces enfants au sérieux ? Ni leur label, ni le public n’étaient prêts à l’éclosion teen-punk non plus qu’à la sensualité de Lorrie, rockeuse précoce, qui après avoir brisé le cœur de Ricky Nelson, se marie avec le manager de Johnny Cash, détesté par le reste de la famille : rideau. Aucun hit n’aura couronné la carrière brisée dans l’œuf des gamins magiques Collins, voués à demeurer l’une des légendes les plus secrètes du rock’n’roll. Quelques séances dans Shindig ! en 1965 les verront méconnaissables, ternes exécutants de pop fade. De retour sur scène ces dernières années, ils ont bien mérité leurs ovations.

 

 

« Hop, Skip And Jump »


 

 

 

 


 

 

 

 

 


 

A écouter:

 

Collins-kids_LP03.jpgBear Family Records a assuré le travail archéologique et réédité le nécessaire. Citons The Collins Kids : The Rockin’est, ou plus anciens, les Introducing Larry And Lorry ou Rockin’ Rollin’ Collins Kids qui omet néanmoins le sidérant « Whistle Bait ». Il existe aussi un dvd des séances du Town Hall Party.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 21:43

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

 

Stud Cole

 

 

Les as du rock'n'roll, épisode 7

Stud Cole   : "Burn Baby Burn"


   

Quoi? Qu'est-ce que c'est? L'alarme incendie?... Assaut de mammouth épileptique? Ce cri perçant, ce brame de défi, Ragnarok enfin, l'Armageddon? Et ce tonnerre de fuzz, ce break fracassant?

 

Non, c'est Patrick Tirone, ou plutôt Stud Cole, petit mec de Los Angeles, mèche arrogante, qui, à trop biberonner aux ondes FM rock'n'rollantes dans son enfance nouillorkaise, n'est jamais redescendu de son nuage. En pleine communion Summer of Love, au milieu des hippies à poil long et des lecteurs de Tolkien, il rêve pin-up, cadillacs roses, et se fantasme en crooneur malsain et solaire.

 

C'est peu de dire que le caverneux "Burn Baby Burn" induit le déhanchement: c'est un pur et simple appel au rut. Sur un rythme menaçant, à la fois lourd et ophidien, le chanteur surexcité avale le micro, prodigue halètements outranciers, trémolos lascifs, succions incommodantes. Matrones, planquez vos morveuses. Soutenues par un batteur en état second, les guitares jouent rock'n'roll mais sonnent acide. C'est Sun Records qui donnerait dans le groove sixties.

 

Réincarner Ricky Nelson un quart d'heure avant Woodstock: difficile de faire plus donquichottesque. Les cent exemplaires de son disque, envoyés à grand renfort de matériel promo aux radios, ont dû provoquer bien des ricanements et des perplexités chez les dj du coin. Suite prévisible de ce bide : l'homme disparaît sans laisser de traces.

 

Ce disque, exhumé en 2002 par les philanthropes fêlés de Norton, contient tout et n'importe quoi. Sur un son approximatif, poisseux, des fuzz froissées crépitent sur fond de piano bastringue, et au détour d’un couplet un solo de flûte surréaliste tombe du ciel. Du très raide (“Don't Do that"), voire de l'explosif (“Feels Good“), côtoie un bouquet de ballades où Stud Cole se vautre avec brio dans la réverb' et l'emphase (“Always“ & Always“, le bluesy “Oh... I Love You“, “Stop The Wedding“).  Le truc “Burn Baby Burn“ est tellement bon qu'il ressert le riff et le phrasé deux fois.

 

1968: trop tôt, trop seul, trop illuminé. Comme tous les retardataires en avance sur leur époque, ce candide beau gosse avait compris que seuls les classiques restent modernes, là où les modernistes se démodent déjà. Peu après, retour d'Elvis, les reprises de Creedence (Dale Hawkins ou Little Richard), et American Graffiti... les Cramps! Stud Cole, rockabilly psychédélique possédé, leur a pavé la voie.

 

 

 

 

 

 

“Burn Baby Burn“

 

 

“Oh... I Love You“


 

“Always & Always“


 

 

 

 

 


 

A écouter:

 

stud.jpg
Réédition Norton 2002, Stud Cole, Burn Baby Burn. Assez indispensable donc, pour les Crampsiens désireux de couper leur Hasil Adkins proverbial et leur inévitable Link Wray d'une saveur nouvelle, et à qui une prod' mal léchée ne fait pas peur

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

Partager cet article
Repost0
31 mai 2012 4 31 /05 /mai /2012 20:11

Dans les caveaux du Fuzz
  Seconds couteaux et perles de série B 

 

Esquerita

 

Les as du rock'n'roll, épisode 6

Esquerita   : "Rock The Joint"

 

 

Piano hors tempo, hululements incontrôlables, perruque à double épaisseur, lunettes extraterrestres, exubérance moustachière et vestimentaire à faire passer les pires choucroutes glamouzesques de Slade ou The Sweet pour des modèles de goût : on aurait tort de ne voir en Esquerita que le second couteau par excellence.

 

Il est vrai, le bonhomme, peu porté sur le minimalisme tatillon et la sobriété revêche, ne dispose pas le musicologue orthodoxe à l'indulgence. Souvent répertorié en petits caractères dans les pages annexes des sagas du rock'n'roll, Eskew Reeder (ou Esquerita, d'après ses initiales S.Q.) ressemble à une version outrancière du déjà peu sobre Little Richard, que ce soit pour ses atiffements délirants, ses trémoussements nerveux de folle branchée sur secteur, son chant puisant au gospel et à la soul... sans parler des réminiscences patentes (entre autres, ces riffs de "Believe me when I say rock'n'roll is here to stay" évoquant ceux de "Lucille"). Soit.

 

Là où l'affaire se complique, c'est que les sources divergent: qui est l'original, qui le suiveur? D'aucuns certifiraient que Little Richards n'aurait gonflé en banane et maquillage qu'après sa découverte des soirées incendiaires d'Eskew Reeder en plein anonymat, comme au Owl Club de Greenville. Nous ne sommes pas ici pour distribuer bons et mauvais points. Ce qui est sûr, c'est que les deux hommes, sans doute complices, ont entretenu l'ambiguïté et s'estimaient. Et ce qui nous intéresse, c'est que Capitol à la recherche d'une réponse aux succès de "Lucille" et "Tutti Frutti", se vit conseiller par Gene Vincent en personne de recruter Esquerita.

 

De ces sessions d'enregistrement émergeront des titres qui sidèreront inoubliablement trois ou quatre péquenots assez chanceux pour les entendre, "Rockin' The Joint", "Oh Baby", et même un LP de douze chansons, – mais il était déjà trop tard (1959) pour le succès. L'enregistrement fut chaotique, et le résultat demeure l'un des plus joyeux bazars sortis sur une major à l'époque. Le chanteur, autodidacte au piano, joue parfois n'importe comment, son orchestre semble le suivre tant bien que mal dans un climat de semi-improvisation réjouissant. Puis, Esquerita retombe de plus belle dans l'obscurité, change souvent de nom de scène, enregistre encore pas mal de morceaux dans les années 60, dont certains franchement barrés ("I Live The Life I Love"). On perd sa trace, il se produirait dans des clubs gays. Il ne manque à cette histoire noble et tragique pas même une triste fin prématurée: oublié de tous, l'un des plus notables tarés du rock'n'roll meurt du sida en 1986.

 

De belles rééditions lui rendent justice désormais. Fini les clichés: Esquerita n'est pas un clone maladroit. Sa voix ne sonne pas comme celle de Richards. S'il est moins virtuose et brillant, si son registre est plus réduit, il chante avec raucité, chaleur et conviction.  Ce je ne sais quoi d'à côté de la plaque, et puis ces attaques dissonnantes au piano, et ce rythme palpitant, font tout le prix d'un rock'n'roll brouillon et vrai comme "Rockin' The Joint". Vital.

 

 

 

 

 

"Rockin' The Joint"

"I'm Battie Over Hattie"


 

 

 

 

 

 

 

A écouter:

 

esquerita.jpg
On ne trouve pas tout dans Esquerita!, le fameux lp des sessions Capitol, mais tout ce qu'on y trouve est bon, et on ne chipotera pas sur deux-trois morceaux redondants. Ne serait-ce que pour la pochette, incomparable.

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le reste de la série :

Les as du rock'n'roll

 

Partager cet article
Repost0