Art Brut -
Bang Bang Rock'n'Roll
(Fierce Panda 2005)
Eddie Argos est un concept vivant. Le leader d'Art Brut, dandy négligé au physique de Francis Kuntz, vient d'écrire un premier album génial et inspiré dans lequel il évoque ses obsessions et narre quelques anecdotes avec une verve et un talent de conteur exalté. Vous ne trouverez de textes aussi acides, ironiques, drôles - et tout simplement bons - dans aucun autre disque cette année. Chaque chanson possède au moins une ligne mémorable dont on peut rire ou sur laquelle on peut méditer des heures durant. Argos a de l'humour, beaucoup même, mais aussi une lucidité et une sensibilité extrêmes qui, portées par un art du verbe indéniable, lui permettent d'aborder les sujets les plus divers avec talent.
L'album commence par un "Formed A Band" dans lequel Art Brut affiche ses ambitions avec humour ("We’re gonna be the band that writes the song that makes Israel and Palestine get along") et démystifie le côté glamour du rock et ses codes ("and YES this is my singing voice, it’s not irony, it’s not Rock & Roll, we’re just talking, to the kids"). Le refrain, hurlement génial, "Formed a band, we formed a band, look at us, we formed a band!" envoie le NME dans les cordes en annihilant toute idée de hype autour du groupe. L'hebdo anglais en prend une autre dans les dents en fin d'album lorsque dans "Bad Day" le crooner ne sachant pas chanter déclare "Haven’t read the NME in so long, don’t know what genre we belong" stigmatisant l'attitude sensationaliste d'un magazine qui crée des vagues aux noms ridicules (New Rock? Shroomadelica?) qui durent à peu près deux semaines.
Argos est malin. Il le montre sur "My Little Brother" où la description d'un petit-frère "découvrant le rock'n'roll" touche au coeur toute personne obsédée par la musique. "He no longer listens to A-sides, he made me a tape of Bootlegs and B-sides" croque à merveille l'attitude névrotique du rock addict. La chanson se conclut par un "Stay! Off! The! Crack!" renvoyant à Pete Doherty et la polémique l'accusant de glorifier l'usage des drogues dures. Meilleure encore est "Emily Kane", ode naïve à un premier amour idéalisé ("I was your boyfriend when we were 15") pleine de mélancolie et de poésie. Au détour d'un "I don't even know where she lives" empli de désarroi, moment de grâce a milieu d'une chanson légère, Argos ôte son masque de gouailleur pour révéler son vrai visage d'adolescent attardé et romantique.
Evidemment le frontman évacue vite cette impression en envoyant un "Modern Art" violemment rock'n'roll qui nous fait prendre conscience qu'Art Brut est un vrai groupe - très bon d'ailleurs - grâce à un riff stoogien moumental. Les londoniens dévoilent une autre facette en enchaînant sur "Rusted Guns Of Milan", chanson géniale et pathétique qui voit Argos bafouiller des excuses foireuses à une maîtresse qu'il est incapable d'honorer... une perle d'humour noir.
Ensuite, "Good Weekend", côté pile de "Bad Weekend" est un morceau enlevé qui met en valeur le sens du riff des guitaristes et propose des choeurs très pop (qu'on retrouve aussi dans "Moving To L.A."). "Bang Bang Rock'n'roll" et "Fight" sont des morceaux très rock'n'roll, des hymnes presque. Les textes de ces chansons sont aussi délicieux et relèvent encore du vécu (la provocation au combat de "Fight", la concrétisation amoureuse après un insoutenable célibat de "Good Day"), prouvant qu'Argos se situe dans la grande tradition anglaise du chroniqueur social qui analyse, décortique et rit des travers de ses concitoyens.
Aucune chanson n'est mauvaise dans cet album plutôt court (il ne dure qu'une grosse demi-heure). Riffs accrocheurs, textes magnifiques, frontman charismatique, Art Brut possède la formule gagnante de cette année 2005. Album indispensable.
Tracklisting :
01/ Formed A Band *
02/ My Little Brother *
03/ Emily Kane *
04/ Rusted Guns Of Milan
05/ Modern Art *
06/ Good Weekend *
07/ Once Is Enough
08/ Fight
09/ Moving to LA *
10/ Bad Weekend
11/ Stand Down
12/ 18 000 Lira
Vidéos :
"Emily Kane"
"Modern Art"
"Good Weekend"
Vinyle :